par Lec |
Alors que chaque marche pour le climat a réuni entre 500 et 1000 manifestants à Gap, pourquoi la mobilisation contre le Rallye Monte Carlo n’a que faiblement mobilisé ? Alors que les médias et les réseaux sociaux avaient laissé une large audience aux revendications du collectif “Ras le Rallye”, qui concernent les questions climatiques dans leur ensemble, les pilotes et les fans des sports motorisés ont pu développer en boucle leur dégoût pour la mobilisation des “écolos”.
Sans détailler le péril qui nous guette (le diagnostic est à présent public et largement consensuel…), il est important de rappeler que le réchauffement climatique et les différents dérèglements en cours nous obligent à des décisions rapides qui touchent à nos modes de vie et également à l’orientation générale de l’économie. Alors qu’une quête de lenteur et de cohérence intime parcourt une partie de la population, le rallye est pour beaucoup un sport symbole de pollution et d’une fuite en avant vers le “toujours plus vite”. Notre département, ses routes en lacets et ses paysages enneigés, est depuis des dizaines d’années un lieu où les courses automobiles passionnent largement la population. Un contre-argumentaire face à ses détracteurs se développe depuis longtemps qui mêle innovation technique au "service" du climat et retombée économique pour un territoire pauvre… Les élu-e-s savent bien l’engouement populaire et ils-elles étaient peu nombreux-ses à oser manifester contre le rallye en période électorale. Il y a dans l’air une montée en puissance de phénomènes de “communautés” et les citoyen-ne-s qui savent l’urgence climatique doivent s’interroger sur les modèles de mobilisation et sur les clivages qui traversent la population.
En effet, ils et elles sont nombreu-se-s à constater les limites de marches climat populaires mais sans impact politique clair, à questionner une stratégie des petits pas et des gestes individuels qui ne pèsent pas lourd face aux enjeux globaux : une radicalisation semble nécessaire mais par quel bout nous y prendre ? Si bien que ce Rallye est aussi l’occasion de nous interroger sur le “Que faire ?” cher au vieux Vladimir.
Il n’y aura pas de jour J où aura lieu l’effondrement. Il y aura des effondrements. Et le monde qui vient ne sera pas "tout autre" et entièrement “apuré”… Il sera le même mais transformé par nos choix individuels et collectifs. Sachant qu’il faudrait 2,9 planètes Terre si tout le monde vivait comme les français, que souhaitons-nous garder ? Que souhaitons-nous abandonner ou transformer ? Et surtout, comment prendre de telles décisions ?
Si le pouvoir en place, ici et ailleurs, libéral et autoritaire, reste aux manettes, les décisions sont déjà prises : nous garderons ce qui est rentable, les riches vivront dans leurs bunkers, protégés par la police et la planète et les pauvres seront les premières victimes. Passons donc sur ce scénario que nous sommes nombreux à vouloir éviter à tout prix.
Si nous souhaitons une large et populaire mobilisation pour le climat et pour le partage des richesses, il faut penser dès à présent à demain. Il faut “commencer par les fins”. Le réchauffement pose chaque jour la question centrale à tout positionnement politique : qui décide ? Et c’est ici que notre intimité se heurte à celle de notre voisin. Il faudra bien décider ensemble dans notre diversité et face à la complexité du réel. Soit nous nous en sortons ensemble soit ce sera chaque individu face aux autres et face aux effondrements...
Le danger de la mobilisation contre le rallye c’est d’attiser des clivages qui éloigne une issue collective. Imaginons des manifestations devant les Cinémas bien plus pollueurs que le rallye ? Nous devrons bien arrêter ou à minima transformer en profondeur nos modes de vies. Comment décider qu’un rallye est moins légitime que des vacances en Inde ou au Brésil ? Comment choisir les bons combats sans rester dans une énumération “bonnes intentions”?
D’abord, alors que de nombreux foyers s’interrogent sur leur impact carbone et modifient, petit à petit, leurs habitudes, il semble important que chaque secteur d’activité fasse lui-même son propre chemin. Le trophée Andros a eu lieu cette année avec des voitures électriques… Bien-sûr ça ne suffit pas, mais on découvre partout des “bougés” souvent surprenant. Même si des paroles aux actes, il y a souvent un gouffre, les programmes électoraux pour les municipales en sont l'exemple du moment : l'écologie devient une orientation unanime.
Ensuite, en constatant que le local ne suffira pas, il faut engager une réflexion globale sur le nécessaire et le superflue. Alors que l’argent coule à flot pour financer les dividendes du Cac40 et les écrans publicitaires dans les grandes villes, les écoles, les hôpitaux, les services publics sont délaissés. Le réchauffement climatique et les choix qu’il impose nous obligent à questionner notre modèle de société. De même, les dérèglements climatiques à venir demandent de l’anticipation et nous aurons plus que jamais besoin de services publics qui ne s’interrogent pas sur la rentabilité avant de rebrancher une ligne pour un village de montagne après un éboulement !
Nous saurons construire un consensus sur l'hôpital et l’école, sur la retraite et l’accès à l’énergie, mais que faire de nos loisirs, de nos passions, de nos modes de vies ? Comment arbitrer entre un match de foot et un voyage, entre regarder des vidéos sur netflix et une semaine en station ? Poser la question, c’est faire l’expérience du lien entre l’intime et le politique et aussi de la nécessaire révolution dans la manière d’engager le combat. Il y aura toujours des choix individuels et une diversité d’approches mais aujourd’hui plus qu’hier, ma liberté s'arrête là où elle empiète sur celle de mon voisin. Choisir de polluer a un impact collectif. Alors comment décider ? Certainement pas en imposant par en haut des choix impopulaires mais en mettant en mouvement le plus grand nombre, en trouvant des luttes rassembleuses et surtout en inventant des lieux de délibérations et des modes de prises de décisions innovantes et impensées, locales, nationales et mondiales.
Oui il est plus que temps de mobiliser contre la caravane publicitaire du Tour de France, contre la publicité dans nos rues, contre les subventions à l’agriculture productiviste, contre les banques qui financent l’extractivisme, contre la réforme des retraites !
Oui il est plus que temps de poser la question de la propriété, puisqu’ils foncent droit dans le mur à nous de prendre le volant et d'imposer d'autres choix et un nouveau récit !
Oui il est urgent de passer de la 5ème république à la première démocratie !
Laurent Eyraud-Chaume